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Frédéric LAVAL, Conseiller Départemental des Hautes-Pyrénées
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27 juillet 2005

Ségolène Royal sécuritaire

Ségolène Royal à l'épreuve de l'insécurité, par Piotr Smolar

LE MONDE | 13.06.06 | 13h40  •  Mis à jour le 13.06.06 | 13h40

Les appréciations tactiques sur les déclarations sécuritaires de Ségolène Royal connaîtront un épilogue au moment du vote des militants socialistes, à l'automne, pour désigner leur candidat. Les premiers sondages indiquent que Mme Royal a séduit une majorité de Français (69 %), y compris à gauche. Elle a aussi semé la zizanie chez les autres prétendants à l'investiture. Mais, sur le fond, ses déclarations n'ont guère contribué à faire émerger, enfin, une vision moderne de gauche sur la question de l'insécurité.

L'ampleur des réactions outragées dans son propre camp ne révèle pas seulement la concurrence acharnée que se livrent les candidats. Mme Royal vient de mettre au jour les divisions du Parti socialiste sur ce sujet, cachées derrière le pragmatisme affiché depuis 2002. Elle a aussi pris la tête de ces élus socialistes qui ne s'embarrassent plus de raideurs idéologiques et refusent d'abandonner la question de la délinquance à la droite.

Ceux-là recueillent chaque semaine les peurs et les colères de leurs administrés, en particulier dans les quartiers urbains sensibles, encore marqués par le cycle de violences de novembre 2005. Ils mesurent le besoin d'autorité et d'ordre, qui n'a pas de couleur politique. Ils sentent que les tendances anxiogènes de la société française - dont le sentiment d'insécurité n'est qu'une déclinaison, comme l'a montré le référendum sur le traité constitutionnel européen, en 2005 - n'ont cessé de croître depuis 2002.

Pourtant, à l'intérieur même de leur camp, d'autres responsables socialistes - minoritaires - nourrissent toujours une suspicion incurable vis-à-vis de la police, sans se donner la peine de réfléchir à la mutation nécessaire d'un service de l'Etat en un service public. Résultat de ce grand écart : sur ce terrain comme sur d'autres, la synthèse est molle pour ménager tout le monde. Le projet du Parti socialiste, adopté par son bureau national le 6 juin, ne présente pas de piste innovante. "Nous mènerons une politique de fermeté contre la délinquance et contre ses causes", affirme le texte. La mise sous tutelle possible des allocations familiales, qui y figure, existe déjà. En outre, le projet prône de façon vague des alternatives à la prison et une réhabilitation de la police de proximité, la grande ambition manquée des socialistes.

C'est au colloque de Villepinte (Seine-Saint-Denis), en octobre 1997, que le PS décida de lancer cette nouvelle police, préventive, placée au plus près des citoyens. Cette étape marqua une prise en compte inédite par la gauche de l'enjeu sécuritaire. Mais l'enveloppe idéologique dans laquelle fut présentée cette réforme audacieuse la rendit indigeste et suscita des résistances à l'intérieur même de l'institution policière, peu encline à se remettre en cause.

En 2002, la gauche perdit les élections notamment parce que la droite s'acharna à souligner son "laxisme" face à la montée de la délinquance. Une partie de l'entourage du candidat Lionel Jospin l'avait convaincu, en catastrophe, de s'aligner sur les positions de la droite, en espérant tuer le débat, après avoir longtemps minoré le sentiment d'insécurité. Le PS s'était donc rallié à l'idée de centres éducatifs fermés pour les délinquants mineurs ; Lionel Jospin avait même fait acte de repentance télévisée, en confessant qu'il avait "pêché un peu par naïveté" sur cette question.

Cette erreur stratégique explique l'atonie qui a suivi la défaite électorale. Pendant que Nicolas Sarkozy utilisait le ministère de l'intérieur comme une rampe de lancement politique, les socialistes ne parvenaient pas à trouver d'angle efficace pour critiquer son action. La solution adoptée consista, selon le mot de Julien Dray - un des principaux partisans d'une approche pragmatique de la sécurité au PS, proche de Mme Royal -, à "faire la tortue en attendant que l'orage passe".

UNE APPROCHE DÉCOMPLEXÉE

Paralysée par l'activisme de M. Sarkozy, la gauche n'a guère profité de sa cure d'opposition pour recouvrer une crédibilité face à la délinquance et progresser sur une question majeure : la relation entre les citoyens et leurs forces de l'ordre. L'objectif idéal de toute politique de sécurité consiste à concilier la proximité, l'accueil des usagers et la répression efficace. Or, aujourd'hui, malgré une baisse générale des faits de délinquance recensés depuis mai 2002 (- 8,8 %), c'est la défiance mutuelle qui domine dans les quartiers sensibles, alors que les violences contre les personnes s'aggravent dans l'ensemble du pays (+ 80 % depuis 1996).

Pourtant, les marges de manoeuvre existent pour moderniser les forces de l'ordre et disent, en creux, les manques dans le bilan Sarkozy. Faut-il créer une force unique de sécurité publique en fusionnant la gendarmerie et la police, afin de rationaliser la répartition des effectifs sur le territoire et faire des économies ? Faut-il supprimer les compagnies républicaines de sécurité (CRS) en tant que direction autonome, plutôt que les positionner en banlieues et accentuer ainsi la distance avec la population ? Faut-il décider une véritable décentralisation de la sécurité publique, en accordant aux régions une capacité d'expérimentation ? Faut-il bouleverser les modes de contrôle interne, en rénovant l'inspection générale de la police nationale (la "police des polices"), quitte à la soustraire à l'autorité de la direction générale de la police ?

Plutôt que d'esquisser des réponses à ces questions techniques mais fondamentales, Mme Royal a préféré se démarquer sur le plan symbolique en envisageant le recours à l'armée pour encadrer les mineurs délinquants et en se déclarant partisane d'un service civil obligatoire. Le recours à l'armée a une connotation dramatique qui ne manque pas de surprendre dans la bouche d'une candidate de gauche. "Supprimer le service militaire a été une erreur", a expliqué Mme Royal dans La Provence, le 28 mars. Est-ce cela, "l'ordre juste" ? Est-ce le prix à payer pour reconquérir les couches populaires qui se sont détournées du PS ?

Quant au service civil, souvent vanté à droite, il est présenté comme une tentative de restauration du lien social, de la responsabilité collective. Mais on peut aussi y lire, en creux, face à la montée de la violence dans la société, toute l'impuissance des responsables politiques, de droite comme de gauche, orphelins de la figure du maître d'école respecté et privés du service militaire, qui jouit décidément d'une popularité inédite depuis sa disparition. Certes, Ségolène Royal propose une approche décomplexée de l'insécurité ; mais a-t-elle vraiment des idées claires, neuves et efficaces pour l'affronter ?

Piotr Smolar

Article paru dans l'édition du 14.06.06

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