Refondation du Parti Socialiste
Refondation de la Gauche par Dominique Strauss-Kahn
Résumé des trois articles publiés dans le Nouvel Observateur par Frédéric Laval
I / Trois ruptures pour une refondation de la Gauche
Jamais le score de la gauche n'avait été aussi bas. La Défaite sanctionne un refus, celui de nous réformer. Il faut le faire en regardant le monde tel qu'il est, avec les Français tels qu'ils sont.
Il nous donc construire le socialisme du réel. Trois principes l'animeront :
- une vraie compréhension des inégalités et non pas une grille de lecture dépassée ;
- une efficacité sociale et non pas des slogans inopérants ;
- une stratégie émancipatrice redonnant de la force à l'idée de progrès.
Faute d'avoir réalisé lors des dix dernières années notre aggiornamento, notre analyse de la société continue de s'inspirer d'une vague lecture marxiste, héritée des années 1960. Les décalages croissants entre les mutations, accélérés, de la société française et nos grilles de lecture, obsolètes, compose à mes yeux la toile de fond de nos revers électoraux.
La « Lutte des Classes » est devenue caduque car la nouvelle réalité, c'est celle de la fragmentation sociale : Un puissant processus d'individualisation a fait imploser les anciennes « classes ». Une large part du malaise français vient dorénavant des inégalités territoriales : La France est éclatée en mille univers : celui des jeunes de banlieue et celui des retraités des zones rurales par exemple.
Pour retrouver une crédibilité politique, nous devons éviter trois écueils :
- ignorer cette fragmentation sociale en imaginant qu'on peut encore construire un « front de classes » à l'ancienne autour de quelques mots d'ordre anticapitalistes et altermondialistes
- capituler devant la « société des individus » en courant après tous les mouvements sociaux et en se laissant disloquer par toutes les revendications
- faire de la démocratie participative ou du nécessaire dialogue social une fin en soi.
Plusieurs pistes mènent à notre rénovation idéologique.
1/ D'abord, la promesse d'un Etat social à nouveau efficace.
Nous ne pouvons nous enfermer dans la seule défense des acquis. La gauche doit reconnaître la nécessaire adaptation de notre modèle social aux défis de la mondialisation, du vieillissement et de l'individualisation des situations. Rien n'est tabou : sur le financement des retraites ou la réforme du marché du travail nos électeurs attendent un discours de vérité pour reconstituer notre crédibilité.
La gauche doit aussi répondre à la demande de protection face à la mondialisation. Cela passe par la construction de l'unité politique de l'Europe.
2/ Construire un nouveau compromis social.
Cet Etat social renouvelé doit désormais promouvoir cette catégorie d'entrepreneurs qui inventent notre avenir. Nous devons les considérer comme d'authentiques acteurs du progrès social et non comme des « ennemis de classe » à vouer aux gémonies.
Le compromis social devra déterminer le partage de la valeur ajoutée, arbitrer entre le pouvoir d'achat des salariés et le soutien à la lutte contre l'exclusion et au noyau dur du chômage ?
3/ L'utopie fédératrice de l'égalité réelle et d'une société juste.
Il s'agit de faire face à la réalité pour pouvoir la changer et procéder à une transformation radicale de la société. Nous devons ainsi lutter contre la reproduction sociale.
Cela doit être articulé autour de propositions audacieuses et d'engagements financiers précis en matière d'éducation, de santé et de logement pour relancer l'ascenseur social.
Le socialisme est d'abord une protestation contre l'ordre existant. Mais il exprime aussi une volonté d'émancipation concrète.
II / Pour une nouvelle cohérence économique et sociale
Notre compétitivité s'érode et notre modèle social a un coût très élevé alors même que son efficacité dans la lutte contre les inégalités paraît faiblir.
Enfermée dans le schéma de relance par la demande, la gauche n’a pas pris la mesure de la perte de compétitivité de notre économie et a continué à redistribuer sans se préoccuper de produire.
Pour rétablir sa crédibilité, la gauche doit retrouver une cohérence économique et sociale avec une critique radicale du libéralisme mais sans se limiter à un pamphlet contre le capitalisme.
1/ La compétitivité et l'égalité réelle
Si l'on veut remédier à notre perte de compétitivité, il faut promouvoir le travail qui, à l'échelle du monde, reste rare et peut donc être cher : le travail suffisamment qualifié pour nourrir l'innovation.
Nos politiques sociales sont trop réparatrices et pas assez préventives. Il faut attaquer les inégalités à la racine, là où elles se forment, dès l'enfance, au travail, dans le tissu urbain. On ne peut plus se contenter d'aider les pauvres : il faut construire une société qui fabrique moins de pauvres.
D'où la nécessité, sur certaines parties du territoire, d'allouer massivement du capital public à ceux qui ont peu de capital personnel. C'est ce qui justifie de limiter à quinze élèves l'effectif des classes dans certaines banlieues ou certaines zones rurales. C'est l'adoption d'une vigoureuse politique de prévention en direction des enfants et des familles pauvres. Nos politiques sociales sont ensuite trop monétaires et font largement l'impasse sur l'accompagnement individuel.
2/ Le social dans l'économie
Ce qu'il nous faut ce n'est ni le social au mépris de l'économie, que la gauche a trop tendance à pratiquer, ni le social par l'économie, que la droite persiste à prôner parce qu'elle pense que, quand l'économie va, tout va. C'est le social dans l'économie, c'est-à-dire des politiques sociales dont la mise en oeuvre contribue à la croissance économique : Quand on permet aux talents qui naissent dans les banlieues d'aller à l'université, c'est aussi l'économie dans son ensemble qui en bénéficie. Quand on améliore la santé au travail, c'est aussi la productivité qui s'élève, etc…
Ce qui nous protégera à l'avenir, c'est la compétitivité, pas le repli. Il nous faut donc un Etat qui fasse de cette entreprise de valorisation sa tâche principale.
3/ Une politique durable
Il n'est de politique efficace que si elle est durable. Ainsi pour les finances publiques, le retour à un taux d'endettement supportable est la condition impérative d'une politique durable.
Mais aussi aucune politique ne peut porter de fruits si elle n'est pas suffisamment acceptée par la société pour durer.
4/ Le contrat et l'Europe
La méthode, c'est le contrat. Le contrat entre l'Etat et ses différents partenaires : les collectivités territoriales, les partenaires sociaux (nécessité de syndicats forts et légitimes) et les consommateurs.
Le contrat c’est aussi refuser à poser constamment le pistolet de la loi sur la tempe des partenaires.
L'espace, c'est l'Europe : Il faut ainsi donner à l'Union européenne les moyens de financer des politiques favorables à la croissance et à l'emploi comme de piloter la recherche.
Il n'y a pas d'avenir pour la France dans une vision trop étroitement nationale ou trop étroitement économique. Il n'y a pas d'avenir pour la gauche dans une vision trop étroitement sociale ou trop étroitement étatique.
III / La nouvelle bataille des valeurs
En laissant Nicolas Sarkozy imposer sa vision de la nation, de l'ordre, du travail, du mérite, nous avons aussi perdu la bataille des valeurs, faute de l'avoir livrée avec nos armes : une soif de justice et de liberté, une révolte contre la fatalité, les privilèges et la domination, un humanisme fondamental qui conduit à reconnaître en chaque homme un alter ego. Mais les valeurs elles-mêmes ne sont pas épargnées par le mouvement du réel et de l'Histoire.
1/ La liberté ordonnée
Les années 1960 et 1970 nous ont légué une cohérence marxiste et libertaire. Cet héritage demeure notre socle, nous persistons à vouloir réguler le capitalisme.
Aussi nous efforçons-nous d'encadrer le fonctionnement du marché. Mais, parallèlement, nous avons progressivement reconnu que la liberté d'entreprendre était source d'efficacité économique et créatrice de richesse. De notre capacité à convaincre de la cohérence de ces deux affirmations dépend, pour une bonne part, l'avenir de la gauche.
Il nous faut de même concilier la loi et l'ordre. Frappée d'hémiplégie, la gauche a longtemps négligé la répression, confiant à la seule prévention le soin de garantir la sécurité. Une pathologie symétrique conduit aujourd'hui la droite à tout miser sur la répression. Sanctionner sans faiblesse les atteintes à la loi après avoir mis en œuvre les moyens permettant d'éviter la multiplication des infractions : telle est la voie que doit emprunter un socialisme du réel. Le moment est venu d'entériner cette évolution idéologique. Pour traduire ce double rééquilibrage - de la liberté et de la responsabilité, des droits et des devoirs -, j'aime à parler de liberté ordonnée.
2/ L'égalité réelle
La conception sociale-démocrate de la République, ce n'est pas l'égalitarisme niveleur, l'égalitarisme niveleur, qui est par exemple à l'origine d'utopies scolaires comme celle du "collège unique", refuse aux plus mal lotis ( promus de classe en classe à l'ancienneté ) l'opportunité de progresser selon des rythmes et des méthodes adaptés à leurs capacités réelles et qui bride les talents des plus doués.
3/ Le progrès maîtrisé
Pour nous les expérimentations scientifiques comme les grands choix technologiques doivent être soumis à un rigoureux contrôle démocratique. Mais nous refusons de rejeter l'expérimentation scientifique, ou de nous abriter derrière la recherche du "risque zéro", qui conduiraient à un retour de l'obscurantisme que la vénération de la nature tente d'habiller idéologiquement.
C'est, ici encore, l'identité même de la gauche qui est en jeu. Réel et donc rationnel : tel est le socialisme que je veux aider à refonder.